Les minorités n'ont elles leur place que sur le câble ?
Le journaliste Stuart Levine (Variety) a publié hier un article très intéressant sur le succès de "The Game". Ce dernier s'est interrogé sur les conséquences que pourraient avoir ce succès surprise sur la télévision américaine et propose plus globalement un débat sur la place des minorités à la télévision américaine. J'ai agrémenté son analyse d'autres informations trouvées un peu partout à propos de la série.
"The Game" est LA success story de ce début d'année 2011. Le mardi 11 janvier 2011, 7.7 millions d'américains se sont en effet branchés sur BET pour découvrir le season premiere de "The Game". La chaîne a ainsi réalisé le meilleur lancement pour une sitcom sur le câble américain. Si la nouvelle a beaucoup étonné, pas sûr que les conséquences de ce succès soient visibles.
"The Game", centrée sur un groupe de jeunes femmes afro-américaines en couple avec des joueurs de football américains, fut diffusée durant 3 saisons sur la CW. Avec seulement 1.8 million de téléspectateurs en moyenne pour la 3ème saison, diffusée le vendredi soir, la chaîne décida d'annuler la série. Alors que BET avait acheté les droits de syndication (de rediffuser les 3 premières saisons) de la série 3 mois avant, les analystes américains parlaient alors d'une possibilité de reprise de la série par la chaîne.
Ce n'est que plus d'un an après son annulation que BET prit la décision de relancer la série. Devant le succès des rediffusions (qui faisaient de meilleurs scores que les inédits lorsqu'ils étaient diffusés sur la CW) et le désir de la chaîne de se lancer dans les séries, le rachat de "The Game" était une évidence pour les responsables de la chaîne. Ou en tout cas pour Janet Rolle, directrice marketing de BET.
"Nous préférions nous rattacher à une base de fan déjà existante plutôt que d'avoir à en recréer une" déclare-t-elle ainsi. Elle explique aussi que les réseaux sociaux ont joué un rôle déterminant dans le succès du retour de la série sur BET. Les téléspectateurs américains, qui avaient eu le temps d"oublier "The Game" un an et demi après sa disparition, purent ainsi être au courant du retour de la série. Janet Rolle cite l'exemple d'une page facebook créée lorsque la série était en danger d'annulation et qui avait attirée 3 millions de visiteurs.
Pour réussir sur BET, quasiment 2 ans après son annulation, la série devait impérativement réunir plus de téléspectateurs que lors de sa diffusion sur la CW en ne se limitant donc pas aux anciens fans de la série. Selon Rolle, l'une des clés du succès du show fut l'intense promotion faite par la chaîne : lors des "BET Awards" par exemple, émission la plus regardée de la chaîne avant "The Game", ou dans la presse séduisant un public plutôt afro-américain comme le magazine Jet. Un marathon de rediffusion des 3 premières saisons de la série a aussi sûrement aidé.
"Pour obtenir une telle audience, il est clair que nous avons séduit d'autres téléspectateurs que les habitués de la chaîne" explique ainsi Rolle. "C'était important d'avoir une stratégie spéciale en place, et j'ai entendu beaucoup de gens me dire qu'ils ne regardaient pas la série du temps de la CW mais que le marathon de rediffusions les avaient conduits à regarder la série."
Les séries de networks ont souvent essayé d'avoir un cast assez diversifié, représentatif de la population américaine, afin de séduire un maximum de téléspectateurs. Pensez aux séries les plus populaires de la décennie (séries ou non) : "Lost", "American Idol", "Glee" : tous ses programmes avaient/ont un cast plus ou moins ethniquement diversifié.
Avec "Undercovers", NBC fit un pari audacieux l'automne dernier en prenant 2 afro-américains comme tête d'affiche. Que ce soit Boris Kodjoe ou Gugu Mbatha-Raw, les deux acteurs étaient plutôt inconnus du public américains et reçurent majoritairement de bonnes critiques, parfois même meilleures que celles qui concernaient la série en elle-même. Après seulement quelques mois, et devant le peu de succès rencontré, NBC annula la série.
Toutefois, en regardant les scores du show sur les 18-49 ans afro-américains, le show réalisait en moyenne un taux de 3.9%. Ce dernier n'était que de 1.7% sur le population globale. Traduction : "Undercovers" était un très gros succès chez les afro-américains, avec des résultats plus de deux fois supérieurs au reste de la population.
Selon Chris Smith, professeur en communication à l'université de South California, le succès de "The Game" ne va pas soudainement augmenter le nombre de séries de networks centrées sur des minorités.
"Je ne vois pas ce genre de séries se développer à la télévision américaine" déclare Smith. "A vrai dire, c'est un peu relégué à BET et aux sitcoms de Tyler Perry sur le câble". Janet Rolle va dans le même sens : "Le câble et les networks ont des modèles complètement différents. Leurs programmes doivent séduire un public très large."
TBS s'en tire plutôt bien avec ces séries centrées sur des afro-américains. La semaine où "The Game" a battu tous les records sur le public afro-américain (6.6 millions des 7.7 millions de téléspectateurs étaient afro-américains), "House Of Payne" était la deuxième série la plus regardée sur ce public avec 2.6 millions d'afro-américains sur les 3.1 millions de téléspectateurs.
Même si l'exceptionnel démarrage de "The Game" ne va pas forcément pousser les directeurs de chaîne a développer des séries centrées sur des minorités, ce qui pourrait changer les choses, c'est l'attitude de ceux-ci face aux scénaristes issus de minorités cherchant à vendre leurs idées.
"Je pense que cela pourrait aider les créatifs afro-américains à être plus écoutés à l'avenir" déclare Smith. Le succès du relançement de "The Game" n'est pas vraiment étonnant selon lui : les afro-américains en ont assez d'être représentés simplement comme des gangsters, des SDF ou des domestiques et cherchent à trouver des personnages auxquels ils peuvent vraiment s'identifier. Pour lui, si les blancs qui travaillent à la télévision ont été très surpris, cela ne fut pas surprise pour les afro-américains. Ces derniers ont déjà compris le pouvoir qu'une large minorité peut avoir.
"C'est un peu comme l'histoire des races aux Etats-Unis" poursuit-il, rappelant les divisions entre blancs et noirs lors du procès d'OJ Simpson pour meurtre [Note : durant ce procès d'O.J.Simpson, afro-américain, les sondages montraient une énorme différence entre blanc et noir à propos de sa culpabilité et de la sympathie que les américains avaient pour lui]. "La seule fois où les blancs et les noirs furent choqués de la même façon, c'est quand Obama a gagné les élections !" conclut Smith.
Les séries mettant principalement en scène des minorités ont-elles leur place sur les networks selon vous ? Rappelons que "The Game" a réalisé un taux de 3.6% sur les 18-49 ans lors de son retour, un taux qui ferait de la série un succès sur n'importe quel network. Non citée dans l'article, on peut rappeler que dans l'histoire des Etats-Unis, de nombreuses séries mettant en scène majoritairement des minorités ont été de très gros succès ("The Cosby Show", "Ma Famille D'abord"...).